Mises en scène mobiles au Phénix

Le Phénix, scène nationale de Valenciennes à l’occasion de la création de Fréquences, projet pour Iphone de Célia Houdart, Sébastien Roux, André Baldinger et Martin Blum, propose une journée d’études sur les « mises en scènes mobiles » le 17 février prochain. Les technologies mobiles suscitent des téléscènes d’un nouveau genre, initiées sur et par le réseau mais se manifestant dans l’espace réel. Il ne s’agit pas d’inviter le spectateur à se connecter sur le réseau, à se brancher sur une scène virtuelle, mais de rejoindre le spectateur là où il se trouve, et de faire du lieu où il est, de la ville dans laquelle il évolue, la scène potentielle, la scène virtuelle, du drame dont il va être partie prenante. Ce phénomène, que l’on constate aussi dans l’engouement pour les flashmobs à la fin des années 2000, est lié aux nouveaux modes de présence des spectateurs : équipés d’un attirail mobile et sans fil, ils sont reliés en permanence à différents réseaux. Ces expériences rejoignent les performances initiées dans les années 1960 où les consignes du metteur en scène sont délivrées par talkie walkie aux interprètes au cours de la performance. Les créations de Roger Bernat, où il s’agit cette fois-ci pour le metteur en scène de diriger le public, sont dans cette lignée de la commande à distance.

Le téléphone portable reçoit la faveur des artistes, après quelques expériences menées avec des walkmans ou des audio guides. L’une des œuvres pionnières dans ce domaine est le concert de sonneries de téléphones portables, Dialtones, organisé par Golan Levin lors du festival Ars Electronica en 2001. Le parcours du metteur en scène Stefan Kaegi suit cette évolution technologique. Après une création pour walkman en 1999, Kanal Kirchner, il passe en 2005 avec Call Cutta au téléphone portable. Le spectateur suit les instructions qui lui sont données par un ou des acteurs situés dans un “call centre”. Au travers d’une conversation, le spectateur est guidé dans Calcutta, en fonction de différentes trames dramaturgiques : un récit d’espionnage, une pièce historique sur l’indépendance du Bengale… À la réalité de la ville, une fiction se superpose, dédoublant la perception du spectateur entre ville réelle et ville imaginaire.

En 2006, la manifestation First Play Berlin a proposé un “programme international d’art numérique vivant – fusion de la performance et de la technologie mobile. Étendant les limites de l’interaction et de la participation, le regardeur est invité à naviguer dans des espaces virtuels en effectuant un voyage dans le monde réel, physique”. Entre le jeu vidéo, l’art radiophonique et le théâtre, ces œuvres proposent de guider le spectateur dans des univers virtuels qui s’appuient sur l’espace réel, en le munissant de téléphones portables ou de PDA. Etait notamment présenté Day of the Figurines de Blast Theory , développé dans le cadre du programme “City as Theatre” du projet européen IperG. L’objet des recherches d’IperG est la création de “pervasive games”, dont la traduction littérale est jeux envahissants, et dont la caractéristique majeure est d’avoir lieu dans le cadre de notre vie quotidienne, provoquant une contamination entre le jeu et la vie.

Cette préoccupation pour l’espace physique dans lequel évolue le spectateur est au cœur d’un mouvement dénommé “locative media”. Les “médias locatifs” (au sens des prépositions locatives) sont nés de la combinaison des technologies mobiles et des systèmes d’information géographique (GIS : Geographic Information Systems) comme le GPS, le wifi, ou encore les RFID. Cette combinaison permet de reconsidérer la manière dont on perçoit et l’on investit l’espace. Le renversement de perspective est d’importance : il ne s’agit plus de créer un monde virtuel ex-nihilo, mais de construire un espace de données à partir d’un espace réel, et de jouer de leurs coïncidences ou de leurs dissonances.